C'est une discrète révolution industrielle, à base de maïs et de graines de tournesol, qui est en train de naître à Terni, une ville moyenne d'Ombrie située à une centaine de kilomètres au nord de Rome. Sur ce pôle naguère prospère de la sidérurgie et de la chimie, la société italienne Novamont, pionnière dans le secteur des produits biodégradables, a inauguré, vendredi 13 octobre, la "première bio-raffinerie verte au monde, capable de produire des bio-polyesters à base d'huile végétale". Leader européen des bio-plastiques à base d'amidon grâce à son produit vedette, le Master-Bi, dont 35 000 tonnes sortent déjà du site de Terni, la firme porte sa capacité de production à 60 000 tonnes, soit environ 60 % du marché mondial.
Comparé aux 40 millions de tonnes de plastiques d'origine pétrolière consommées en Europe, ce n'est qu'un balbutiement. De plus, l'intérêt des bio-plastiques est encore occulté par l'engouement actuel pour les bio-carburants. Toutefois, les objets de tous les jours fabriqués à base de produits agricoles ne sont plus une utopie. Les bio-plastiques comme le Master-Bi cumulent les qualités environnementales. Ils sont renouvelables, recyclables, réutilisables, biodégradables et "compostables". On les utilise pour faire des sacs, des emballages, des films de paillage pour l'agriculture, des couches-culottes, des gobelets et des couverts jetables, des cotons-tiges solubles, etc. Les applications sont infinies : Novamont a collaboré notamment avec l'équipementier américain Goodyear pour développer un pneu "écologique" qui réduit de 40 % la résistance au roulement.
Née en 1989 d'un laboratoire de Montedison, c'est avant tout une entreprise de chercheurs qui continue à consacrer 30 % de ses ressources à la recherche. Elle est détentrice des 56 brevets qu'elle développe. Aujourd'hui, l'adjonction d'huiles végétales (tournesol, ricin, colza) au traditionnel amidon permet de réduire encore la part de produits fossiles utilisés. Surtout, cela rend le processus de fabrication moins gourmand en énergie et à faible impact environnemental.
Le projet initial d'inventer "une chimie vivante au service de la qualité de la vie" est vite devenu un défi industriel. Sur son site, Novamont a investi 100 millions d'euros depuis le lancement de la production en 1996. Avec 120 employés et un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros, le producteur italien a une dimension de PME mais des ambitions multinationales. La France, qui a le cadre législatif le plus évolué d'Europe en la matière (les sacs de caisse biodégradables seront obligatoires en 2010), l'attire : il vient d'y créer une filiale, premier jalon vers l'ouverture d'une usine, vraisemblablement dans la région Rhône-Alpes.
Le principal frein à l'expansion des bio-plastiques reste leur coût de production. "Il faut commencer à considérer non seulement le coût des matières premières, mais ceux de l'entière filière de production et de distribution, qui incluent des coûts cachés de nature environnementale et sociale tels que le transport. D'où la nécessité de créer de petites unités proches des marchés de destination plutôt que de gros centres de production", explique Catia Bastioli, directeur général de Novamont.
Simultanément à l'annonce de sa bio-raffinerie ultramoderne, Novamont a rendu publique la création d'une société mixte avec la principale organisation agricole italienne (Coldiretti). "C'est un événement encore plus important car cela marque un changement de perspective, se réjouit Catia Bastioli. C'est un premier modèle économique de filière intégrée en vue d'un développement durable. Nous avons trouvé chez les agriculteurs une grande ouverture d'esprit et une approche très voisine de la nôtre car ils sont à la recherche d'un modèle économique qui valorise leur territoire, apporte une plus-value à leurs cultures spécialisées et les intègre à un processus industriel."
Concrètement, plusieurs centaines de producteurs de tournesols de la province de Terni sont constitués en coopérative, laquelle devient partenaire de Novamont dans une nouvelle entité à 50-50, qui devrait être opérationnelle en 2008. Les perspectives de ce type de filière sont importantes sans pour autant empiéter sur les espaces consacrés à l'agriculture à vocation alimentaire. Les plus optimistes ont déjà calculé qu'en exploitant les 800 000 hectares de cultures actuellement gelés par l'Union européenne en Italie, une filière bio-industrielle efficace pourrait obtenir plus de 1,5 million de tonnes de bio-plastiques. Et Catia Bastioli rêve même, dans un futur proche, à une coopération analogue avec les organisations agricoles françaises.
Le Monde, Article paru dans l'édition du 17.10.06