D'énormes réservoirs de carbone prometteur à portée de main, sous nos pieds... C'est l'utopie que les chercheurs vont essayer de concrétiser en travaillant sur l'exploitation de gisements de cellules végétales. Mais l'engouement pour les biocarburants, déclaré ces jours-ci par la France à l'occasion du Mondial de l'automobile, ne doit pas pour autant masquer les embûches. Car les plantes et les arbres concentrent l'essentiel de l'atome énergétique dans la paroi bien protégée de leurs cellules.
Toutes les grandes nations ont donc lancé leurs troupes de recherche vers cette citadelle encore bien mystérieuse. La première génération de biocarburant avait réussi, en esquivant cette bataille cellulaire. Les premières bio-raffineries au Brésil, aux Etats-Unis et progressivement en Europe tirent leur éthanol et leur gazole de la générosité des graines produites par les céréales ou les oléagineux. Le carbone y est présent sous sa forme la plus exploitable : des sucres ou des huiles. Le succès de ce coup d'essai n'est plus contesté : rien qu'aux Etats-Unis, 101 usines de production vont être rejointes par 36 nouvelles. Ce n'est toutefois plus suffisant, le rendement par hectare de biocarburant est trop faible. Pour la seconde génération de biocarburants, les chercheurs visent désormais la transformation de l'intégralité de la plante.
Pour les chimistes, le saut est douloureux : les chaînes hydrocarbonées du pétrole contiennent beaucoup de carbone et peu d'oxygène, un atome qui dilue la puissance énergétique d'un combustible. Depuis un siècle, la pétrochimie a réussi à élever les rendements de conversion de l'or noir. « Sur 100 atomes de carbone présents dans le pétrole, on sait en transformer 80 en carburant » indique Jean-Luc Duplan de l'IFP.
Le carbone des parois des plantes prend la forme de trois types de polymères : la lignine, la cellulose et l'hémicellulose. Ces longues molécules carbonées jouent chez les végétaux le rôle de charpente. La lignine, c'est plutôt la poutre, elle est longue, épaisse. L'hémicellulose jouerait le rôle des solives, comme la cellulose. Les plantes ont profité des quelques milliards d'années d'évolution pour développer ces remparts contre les attaques du monde vivant, qu'il soit microbien ou animal. Ce n'est donc pas un hasard si les procédés de première génération ne savent « digérer » que des molécules plus petites. Les meilleurs procédés actuels ne dépassent pas les 20 % de rendement : 80 atomes de carbone sont perdus sur les 100 contenus dans les cellules végétales. Les chercheurs rivalisent donc de travaux pour tronçonner les polymères et les transformer en molécules assimilables. Deux voies technologiques différentes sont explorées. La communauté des biologistes sophistique les procédés biotechnologiques utilisés pour la production d'éthanol de première génération. Il s'agit essentiellement d'améliorer la capacité de digestion des micro-organismes chargés de dégrader les polymères. Les Etats-Unis ont pris la tête de cette voie grâce au projet Genome to Life doté de 250 millions de dollars. Leur maîtrise des OGM débouche déjà sur des expérimentations de bioréacteurs performants.
Leurs recherches vont même plus loin puisqu'elles ambitionnent de modifier les végétaux pour doper leur taux de cellulose. Une stratégie qui implique un gros travail de compréhension des mécanismes complexes de la formation des polymères dans la cellule. La genèse de la cellulose et de l'hémicellulose commence à être bien comprise. Celle de la lignine reste encore mystérieuse.
Les physiciens et les chimistes, eux, ont fait le pari de passer en force avec la voie du craquage thermique des molécules. Ce procédé permet d'exploiter tous les polymères des végétaux, contrairement à la voie biologique qui n'exploite que la cellulose.
Partis en retard, les Français tentent de rattraper les leaders américains, allemands, nordiques et japonais. L'Agence nationale de la recherche encourage, depuis sa création en 2004, les initiatives dans le domaine. Pour Philippe Freyssinet, responsable du programme énergie et développement durable de l'agence, l'ANR a un effet structurant avec 8 millions d'euros consacrés cette année à la biomasse. L'effort mérite d'être poursuivi, la France a de loin le plus gros potentiel en ressource de biomasse, le double de celui de l'Italie ou de la Grande Bretagne.
Source : Les Echos
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