Pour palier la faiblesse de l’approvisionnement électrique de la Bretagne, RTE a lancé un appel d’offres pour la construction d’une centrale électrique de 120 MW près de Saint-Brieuc. Une jeune PME, Electricité de Marseille, propose une solution originale : une station électrique solaire, couplée à une centrale biomasse. Un projet audacieux, qui offre une alternative aux énergies fossiles habituellement sollicitées dans ce type d’installation.
La Bretagne est l’une des régions françaises dont l’alimentation électrique s’avère particulièrement fragile. Elle produit peu, environ 5% de sa couverture énergétique, et connaît une croissance annuelle de sa consommation de 2,5%, contre une moyenne de 1,7% en France. Véritable "péninsule électrique", son approvisionnement est assuré par l’importation d’électricité d’autres régions via le réseau public de transport de l’électricité. RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité français, a donc lancé le 16 février 2006 un appel d’offres pour la construction d’une installation de production d’au minimum 80 MW dans la région de Saint-Brieuc.
Parmi les candidats, Electricité de Marseille (EDM) propose une station électrique solaire hybride biomasse de 120 MW. Un projet original, composé de deux installations différentes fonctionnant simultanément ou individuellement, selon les besoins en électricité sollicités par RTE. La station électrique solaire (SES) repose sur une technologie de stockage d’air comprimé CAES (Compressed Air Energy Storage). Plusieurs sphères en matériaux composites d’un volume de 4850 m3stockent de l’air comprimé à 120 bar par un compresseur électrique. Des panneaux solaires thermiques, d’une surface de 10 000 m2, produisent de l’eau chaude utilisée pour augmenter jusqu’à 600 bar la pression de l’air stocké, offrant ainsi un gain de 40%. Lors des pics de consommation électrique, l’air comprimé est "relâché", et entraîne une turbine, capable de produire 40 MW d’électricité, été comme hiver.
"11 brevets, dont deux européens"
L’unité dénommée "Hybride biomasse" consiste en une chaudière NordFab, alimentée par du colza, du bois et de la paille, et reliée à une turbine à vapeur fournissant 80 MW cinq mois par an. Les combustibles, en quantité impressionnante (23 000 t de colza, 18 000 t de bois et 15 000 t de paille) proviendront d’exploitations agricoles du secteur de Plaine-Haute, commune des Côtes d'Armor.
"Nous possédons 11 brevets, dont deux européens, qui nous permettent de mettre en œuvre ces technologies innovantes, déclare Pierre Bénaros, dirigeant d’EDM. Le principe de notre installation hybride biomasse existe depuis les années 1990 à Nakskov et Rudkobing au Danemark, et à Luban en Pologne (lire encadré). L’utilisation de la biomasse en co-génération participe aux objectifs de 21% d’énergie renouvelable en 2010 fixés par la directive européenne, soutient l’agriculture, et revient moins cher que les combustibles fossiles (gaz et fioul)." Selon lui, le procédé réduit significativement l’impact sur l’environnement, en évitant des émissions annuelles de 48 000 tonnes de dioxyde de carbone (CO2), 64 tonnes d’oxydes d’azote (Nox), et 62 tonnes de dioxyde de souffre (SO2).
Le prix d’une telle installation reste évidemment secret, même si EDM a tout intérêt à communiquer largement sur l’originalité de sa proposition afin de se démarquer des autres concurrents. Combien sont-ils en tout ? RTE se refuse d’en divulguer le nombre, ni le contenu de leur dossier. La candidature d’EDM semble cependant particulièrement audacieuse : Interrogé au printemps, Jean-Paul Goussard, directeur régional de RTE, affirmait que l’appel d’offres visait une "centrale fonctionnant au fuel ou au gaz", et n’imaginait pas la construction d’une centrale faisant appel aux énergies renouvelables.
Répondre à une sollicitation en 14 minutes
Le cahier des charges de RTE autorise toutefois tout type de projet. Il fixe seulement les prescriptions techniques auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement au réseau public de transport de l'électricité. Notamment la capacité à répondre à une sollicitation de RTE en 14 minutes. "Nous pouvons réagir en moins de cinq minutes," assure Pierre Bénaros.
Au cas où RTE ne retiendrait pas son offre, EDM envisage quand même "d’implanter une SES électrique solaire d’air comprimé de 40 MW, éventuellement combinée à de la biomasse, qui permettra de fournir 40 MW pendant cinq heures par jour, soit 200 MWh par jour toute l’année." La société a, d’ailleurs, déjà signé un compromis de vente pour un terrain de10,8 hectares (ses infrastructures nécessitent une surface minimale de 7 hectares), à proximité d’une ligne de 400 000 volts. La construction devrait débuter fin 2007, pour une mise en service au début du premier trimestre 2009.
D’après l’opérateur, l’exploitation de la SES nécessitera la création de six postes de techniciens et d’un poste de responsable d’équipe, et offrira à la commune de Plaine-Haute une taxe professionnelle de 300 000 € par an. "Nous livrons les usines clés en main," souligne Pierre Bénaros, qui annonce également l’installation d’une SES dans les Alpes-Maritimes, dotée d’un moteur "hydrosphère" de 15 MW. Les pales de cette turbine tournent dans de l’eau grâce à l’injection d’air sous pression et à la force d’Archimède. Une démonstration du prototype a été dévoilée à la presse, le 7 juillet dernier, à Sophia-Antipolis, où est installée EDM. La jeune société est cependant bien consciente que la meilleure campagne de communication serait, pour elle, de remporter l’appel d’offres de RTE.
EDM s’est inspirée, pour sa centrale biomasse, des exemples de Nakskov et Rudkobing au Danemark. Dans ce pays, les quantités de paille produites s’élèvent à plus de 6 millions de tonnes, dont 1 million est directement utilisé pour la production d’énergie. En 1997, 7 centrales en cogénération étaient alimentées par de la paille. A Nakskov, ville de 16 000 habitants, la paille a été choisie pour alimenter le réseau municipal de chauffage urbain. Elle fournit 14 des 44 MW du réseau, et couvre les besoins de base. Les combustibles fossile ne servent que pour répondre aux périodes de forte demande. La dernière chaufferie à paille, mise en service en 1996, a coûté environ 3,4 millions d’euros. A Rudkobing, la paille alimente une installation de cogénération, destinée à produire de la chaleur et de l’électricité, et fonctionnant 24 h/24. Selon une étude de Marguerite Whitwham, publiée en 1999 dans les Cahiers du club d’ingénierie prospective énergie et environnement (CLIP), "la combustion de paille tout comme celle de bois est neutre en termes d’émissions de CO2, y compris en intégrant le transport de paille".
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