Comme la plupart des matières premières, le pétrole a subi ces dernières années l'effet croisé d'une période prolongée de sous-investissement et d'une accélération de sa demande, largement nourrie par la croissance asiatique. Mais au-delà de ce déséquilibre que les prix devraient corriger sur le moyen terme, l'or noir souffre, en tant que source principale d'énergie, d'une interrogation grandissante quant à la limite de ses réserves, de la localisation souvent politiquement instable de ses zones de production et de l'impact négatif de sa combustion sur l'environnement. Conjugués à l'envolée de son prix, ces éléments constituent autant d'incitations à un développement qui caractérise cette ressource: la recherche de produits ou de technologies de substitution.
Dans le domaine du transport, qui représente environ 50% de l'utilisation du pétrole, l'évolution la plus drastique consistera naturellement dans le remplacement du moteur à explosion par un moteur électrique, ou «hybride» dans un premier temps. Cette perspective séduisante progresse mais se heurte encore à des problématiques de coût et d'infrastructure. Moins radicale, mais technologiquement plus simple et plus mature, la solution des «biocarburants» bénéficie quant à elle d'incitations fiscales plus généreuses et elle permet d'utiliser les véhicules ainsi que les réseaux de distribution existants. Ces avantages ne sont pas nécessairement déterminants sur le long terme, mais ils sont critiques sur un horizon plus court. Si la volonté politique nécessaire au maintien des soutiens à ce secteur s'appuie sur des considérations environnementales et d'indépendance énergétique qui devraient également bénéficier à la plupart des énergies renouvelables, elle vise également, dans le cas spécifique des biocarburants, à soutenir indirectement l'agriculture domestique.
Aux Etats-Unis, une directive stipule que l'utilisation des biocarburants, donc très largement de l'éthanol, devra passer de quelque 4 millions de gallons en 2005 à 7,5 millions en 2012. En Europe, le marché du biodiesel domine, en raison de la plus forte croissance du marché des véhicules diesel et du déficit de capacité de production de diesel d'origine minérale. L'Union européenne s'est fixé un objectif de 5,75% de biocarburants d'ici à 2010 alors que ceux-ci représentaient moins de 2% en 2005.
La croissance de la demande en biocarburants devrait donc se poursuivre durant les années à venir sur un rythme largement supérieur à celui des essences d'origine fossile. A quels acteurs bénéficiera-t-elle? Si les prix du maïs, du sucre et du colza notamment, profiteront du soutien de la demande provenant des biocarburants, la poursuite de la croissance des rendements devrait en limiter l'effet inflationniste et les variations météorologiques resteront probablement un facteur clé de leur prix. A court et moyen terme, on ne peut pas non plus s'attendre à ce que l'effet de substitution vers les biocarburants influence suffisamment la demande de pétrole pour engendrer à lui seul une inversion de la tendance haussière du cours du brut. Il faut rappeler à cet égard que la production d'éthanol et de biodiesel nécessite une quantité importante d'énergie, qui demeure souvent d'origine fossile. A USD 60 le baril de pétrole, les producteurs d'éthanol bénéficient d'un coût des matières trois fois inférieur à celui des raffineurs pour un prix de vente similaire. Leurs coûts fixes sont beaucoup plus bas grâce à des investissements par gallon plus réduits. Il en découle pour l'instant une rentabilité supérieure qui, compte tenu de barrières à l'entrée également moins restrictives, stimulera la construction de nouvelles capacités, érodant progressivement cet avantage. L'autre risque majeur de cette industrie réside dans la volatilité de la marge brute, compte tenu de l'importance du coût des matières premières et de leur manque de corrélation avec le prix du produit fini. Les acteurs bénéficiant d'une taille critique suffisante, voire d'une intégration en amont ou en aval, tels qu'Archer Daniels ou Cosan, pourront mieux se prémunir contre ce danger. A moyen terme, le développement de biocarburants dits de «seconde génération», utilisant la cellulose de la biomasse, réduira encore les coûts de production de même que leur volatilité, tout en éliminant le risque de compétition avec l'industrie alimentaire. Les «majors» pétroliers, qui conduisent la recherche dans ce domaine, devraient alors prendre le contrôle du secteur.
Auteur : Robert Chardon, Cogérant du fonds LODH Multifonds Commodity Lombard Odier Darier Hentsch & Cie